mardi 24 août 2010

L'été, Scène 6

Trois enfants entrent sur scène : Louis (la noblesse), Emile (la bourgeoisie éclairée) et Françoise, la petite paysanne, qui a les yeux bandés.

FRANÇOISE : (rit) Ca y est, on est rendus ?
LOUIS : Tu dois encore faire trois tours sur toi-même.
FRANÇOISE : Pourquoi trois tours ? Un...
ÉMILE : C'est notre endroit secret, personne ne doit en connaître l'existence.
FRANÇOISE : Deux... Comme si j'allions braire sur vous autres, de la haute, et trois..., moi qui ne savions même pas lire.
LOUIS : Et à peine mieux parler.
ÉMILE : Louis, on a dit qu'on ne faisait pas de différence entre nous.
LOUIS : Pardon. (Il détache le bandeau de Françoise.) Tiens, Françoise. Si ça te plaît, aura-t-on un baiser ?
FRANÇOISE : ( Qui bat des mains.) Oui, parguenne. Ça le vaut bien. Mais c'est-y du sent-bon qu'on sent là ?
ÉMILE : Plutôt des habits que j'ai chipés à ma mère pour toi. Elle a accusé la bonne de les lui avoir volés et ça a fait toute une histoire. Finalement j'ai avoué les avoir empruntés pour jouer avec mes amis, et ma mère a dit que je pouvais les garder, qu'ils étaient passés de mode.
FRANÇOISE : Vous avez une bonne, Émile ?
LOUIS : Chez nous, on dit une servante, et nous en avons cinq.
ÉMILE : Vous les payez à la semaine ou au mois ?
LOUIS : Payer ? Elles sont nourries, logées ...
FRANÇOISE : Et battues. C'est ma mère qui le sait par des racontars au lavoir.
ÉMILE : C'est justement ce que mon père et ses amis veulent changer, ils disent qu'il faut en finir avec ces manières du Moyen Age et que les aristos feraient bien d'en rabattre un peu.
LOUIS : J'ai entendu parler de ça, et d'une formule : liberté, égalité, fraternité ou la mort. N'est-ce pas un peu excessif mon cher Émile ? Qu'en dis-tu, toi, Françoise ?
FRANÇOISE : Ouh la ! Ce que j'en disions, c'est que j'étions ben trop bête pour donner mon avis sur vos formules ! Et que c'est pas demain que nous autres les gueux, on aura des maîtres pour nous enseigner comme à vous les petits messieurs toutes ces grandes choses de fratermuités !
LOUIS : Tu vois, Émile. Françoise est de mon avis.
ÉMILE : Parce qu'elle ne sait pas que les choses peuvent changer. ( à Françoise : ) Si tu passais cette robe ? J'y ai mis du parfum de Nice, un de ceux que mon père vend le plus aux galantes de la Cour du Roi.
FRANÇOISE : Du parfum de Nice ? En Espagne ?
LOUIS : Presque. D'Italie.
(Elle passe la robe et virevolte.)
FRANÇOISE : Qu'elle est belle ! Elle m'enivre !
LOUIS : Ça mérite un baiser !
ÉMILE : Non, trois !
FRANÇOISE : Pourquoi encore trois ?
ÉMILE : Trois, pour les trois mots qui changeront la face du monde. Le premier pour la liberté.
( Encadrée par les garçons, elle embrasse l'un puis l'autre sur la joue une première fois.)
FRANÇOISE : Va pour la liberté. De se taire !
ÉMILE : Le second pour l'égalité.
FRANÇOISE : (qui les embrasse) Quand les poules auront des dents !
ÉMILE : Et le troisième pour la fraternité.
LOUIS : Plutôt l'amour ! ( Au moment de recevoir son baiser, il tourne vivement la tête pour voler un baiser sur les lèvres de Françoise qui sursaute, choquée.)
FRANÇOISE : Oh ! C'est volé !
LOUIS : (La poursuit) Allons... rien de grave !
FRANÇOISE : Je dois me sauver. Ma mère m'avait bien prévenu de ne pas frayer avec des enfants costumés. ( Elle s'éloigne, Louis la laisse partir.)
ÉMILE : Attends Françoise ! On te raccompagne !
FRANÇOISE : Adieu vous autres ! Mon chemin je le connais !

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