dimanche 8 août 2010

LA DEVISE : Scène 6

LA DIRECTRICE : Monsieur le comédien ...

ERNEST : Ernest, Madame la Directrice.

LA DIRECTRICE : Monsieur Ernest ... les enfants sont enchantés de venir au club de théâtre.

ERNEST : J'en suis ravi, Madame la Directrice.

LA DIRECTRICE : Mais voyez-vous, Monsieur Ernest, les enfants, ça raconte, ça parle, c'est terriblement bavard un enfant, alors dix...

ERNEST : Oui, mais justement le théâtre s'appuie sur cela ...

LA DIRECTRICE : Monsieur Ernest, ce travail que vous avez commencé avec les enfants, répond à une commande du chef de l'Etat. Sensibiliser les enfants à la devise nationale. C'est la commande.

ERNEST : C'est au cœur de nos travaux, Madame la Directrice.

LA DIRECTRICE : Vous connaissez la devise des Etats-Unis, Monsieur Ernest ? " In God we trust ", pardonnez mon accent déplorable.

ERNEST : Votre accent est parfait.

LA DIRECTRICE : Merci Monsieur Ernest, et cela signifie : Nous croyons en Dieu. Tout un pays derrière ce credo, avouez que c'est fort. Ca soude une nation, cela.

ERNEST : Sauf si on n'est pas croyant.

LA DIRECTRICE : ( éclat de rire ) C'est vrai ! Vous avez raison. ( grave ) Ainsi vous travaillez sur les notions de liberté, d'égalité et de fraternité, le midi, avec les enfants du club théâtre...

ERNEST : Ainsi qu'on me l'a demandé.

LA DIRECTRICE : Ainsi qu'on vous l'a demandé. Prenons la liberté, voulez-vous. Ouvrez la fenêtre, penchez vous au dehors et dites-moi qui vous voyez passer.

ERNEST : Des gens.

LA DIRECTRICE : Mais encore.

ERNEST : Des automobiles. Des motocyclettes.

LA DIRECTRICE : Des motocyclettes. Qui conduit ces motocyclettes ? Des soldats, Monsieur Ernest, des soldats de l'armée allemande. Croyez-vous que la liberté est la valeur suprême à exalter en ces moments troubles que nous traversons ?

ERNEST : C'est que ...

LA DIRECTRICE : L'égalité, Monsieur Ernest. 2 tickets de rationnement +2 tickets de rationnement = 4 tickets de rationnement , êtes-vous d'accord avec moi ? Voilà votre égalité. Votre égalité c'est la misère, Monsieur Ernest !

ERNEST : Mais je.

LA DIRECTRICE : Laissez-moi finir. En quelle année sommes-nous Monsieur le Comédien ?

ERNEST : 1940 mais.

LA DIRECTRICE : Quel mois ?

ERNEST : Décembre.

LA DIRECTRICE : Vous voyez. Les choses vous viennent peu à peu. Qui est le chef de l'Etat ?

ERNEST : Le Maréchal.

LA DIRECTRICE : Vous voyez. Tout vous revient. Notre établissement, Monsieur le Comédien, notre école, est une grande famille, une famille qui travaille, et qui travaille pour la patrie. Vous comprenez ? Travail, famille, patrie. Voilà nos valeurs. Voilà notre fraternité. Voilà notre devise, Monsieur le Comédien. Ça vous revient-il ?

ERNEST : Je suis confus, Madame la Directrice. Je ne sais pas comment j'ai pu oublier que la devise de la France avait changé.

LA DIRECTRICE : Elle a changé, Monsieur ...

ERNEST : Lévy. Ernest Lévy.

LA DIRECTRICE : Elle a changé Monsieur Ernest. Ceci dit, je ne critique pas votre travail avec les enfants.

ERNEST : Vous avez raison, la liberté n'est pas une valeur.

LA DIRECTRICE : Les enfants ne tarissent pas d'éloges sur leur professeur de théâtre...

ERNEST : L'égalité, quelle ineptie en effet...

LA DIRECTRICE : L'inspecteur lui-même...

ERNEST : La fraternité, quelle sottise !

LA DIRECTRICE : Écoutez-moi !!! (elle a hurlé, elle reprend son souffle) Oublions cet épisode.

ERNEST : Madame la Directrice, que dois-je faire alors ?

LA DIRECTRICE : Je ne sais plus !

( bruits de bottes venant de la rue, ordre donné en allemand, la directrice fond en larmes)

NOIR.

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